mercredi 2 mai 2007

Les pelouses des étages collinéen et montagnard inférieur par Maryse Tort

Petite introduction écologique

Comment, sur le terrain, identifier une pelouse ? Sa physionomie est celle d'une étendue d'herbes peu élevées, peu vigoureuses et souvent rases, étendue verte au printemps, complètement desséchée dès le début de l'été et reverdissant en automne. Elle présente, ou non des pointements rocheux.
A y regarder de plus près, sur quelques m2 seulement on observe le plus souvent, formant une mosaïque, 2 types de végétation :
- une végétation pionnière constituée de thérophytes (espèces annuelles) ; on aperçoit le sol nu entre les plantes grêles et peu élevées (parmi lesquelles de nombreuses Fabacées, Caryophyllacées, Astéracées et autres taxons) ;
- une végétation constituée de plantes pérennes (vivaces), la plupart des hémicryptophytes (plantes en rosettes, en touffes ou à stolons aériens) parmi lesquelles les Graminées en touffes ont une grande place ; cette végétation est beaucoup plus recouvrante.
Dans la pratique, on passera constamment d'un type de plante à l'autre ...

Pour reconnaître si une plante est annuelle ou vivace, voir "Quelques repères"

Cette physionomie et ce constat s'expliquent par l'histoire d'une pelouse qui résulte, plus ou moins directement, du travail de nos ancêtres.

I - L'HISTOIRE D'UNE PELOUSE
Avant que l'Homme ne soit cultivateur et éleveur (avant - 2600 ans environ),
les forêts s'étendaient sur l'essentiel des terres. Il en résultait un sol épais,
riche en éléments nutritifs (grâce à l'humus) et retenant l'humidité.
Première action de l'Homme : supprimer les arbres.
Aux déforestations ont succédé des cultures
qui furent sans doute florissantes grâce au sol si fertile.
Fertilité vite épuisée puisque l'on ne savait pas encore
que les plantes prélèvent sels minéraux et matière azotée
et qu'en exportant les plantes hors du champ cultivé (pour les consommer )
on appauvrit le sol ...
Les terres qui ne produisaient plus assez
ont alors été livrées aux troupeaux qui en ont fait des pelouses.

---> Premier héritage de la pelouse : un bon ensoleillement et un sol pauvre.
Les plantes de pelouses sont héliophiles et oligotrophes.

Nouvelle question : par quels mécanismes un troupeau (moutons et chèvres, éventuellement chevaux) génère-t-il et maintient-il une pelouse ? (Il est bon de rappeler que les vaches broutent dans les prairies).
1) Le troupeau empêche l'installation des végétaux ligneux (buissons, chaméphytes, arbres).
---> La végétation d'une pelouse est donc herbacée.
Les buissons ne sont présents qu'à l'état de germination et jeunes pousses broutées dans une pelouses actuellement pâturée.

2) Moutons et chèvres favorisent le développement de plantes vivaces
dont ils stimulent la multiplication végétative :
ces plantes deviennent de plus en plus recouvrantes.
Ce sont essentiellement des Graminées peu élevées (moyennes ou faibles fourragères)
comme Agrostis capillaris ou plusieurs espèces de Festuca. Les autres espèces, tout en occupant moins de place, sont très nombreuses.

---> Dans une pelouse pâturée les Poacées pérennes, en touffes ou gazonnantes, occupent la plus grande place mais le plus grand nombre d'espèces se situe dans de nombreuses autres familles.


Pour comprendre comment les moutons favorisent les Poacées fourragères voir "Quelques repères"

3) En broutant l'herbe, le mouton ou la chèvre prélèvent les éléments nutritifs du sol.
Si la pelouse est "mal gérée" en termes agricoles,
le sol va en s'appauvrissant chaque année davantage.
Si elle est "bien gérée", le sol maintient son minimum de fertilité.
Le plus souvent, il est mince ce qui l'empêche d'avoir une bonne réserve en eau.
Il en résulte que les plantes sont adaptées à la sécheresse : elles sont xérophiles.
Cependant, en bas de pente ou sur certaines roches comme les marnes,
le sol peut être un peu plus épais : le déficit en eau est moindre, les plantes sont mésoxérophiles.
---> Les plantes de pelouses sont des plantes xérophiles ou mésoxérophiles.

Pour en savoir plus sur les plantes xérophiles de pelouses voir "Quelques repères"

4) Dans l'hypothèse d'une pelouse bien gérée du point de vue agricole,
la végétation se maintient à un niveau fourrager correct
et un niveau botanique assez intéressant.
Dans l'hypothèse d'une pelouse mal gérée du point de vue agricole, que se passe-t-il ?

Pour en savoir un peu plus sur la gestion des pelouses, voir "Quelques repères"

Les communaux sont tout à fait exemplaires à cet égard .
Sur cette aire plus ou moins étendue,
à laquelle avaient accès tous les troupeaux du village,
3 phénomènes importants se sont produits :
- le surpâturage (trop de moutons) ; il a entraîné l'érosion du sol
qui s'est accentuée sur les pentes et dans les régions soumises à des pluies orageuses.
Les plages de sol nu sont dès lors devenues les sites d'accueil
des végétations pionnières à thérophytes, richesses botaniques évidentes.
- l'épuisement du sol : les bergers conduisaient le troupeau sur le communal
mais récupéraient la fumure pour les champs cultivés.
Le résultat, pour les pelouses est un sol de plus en plus appauvri
accueillant des plantes oligotrophes et xérophiles
seules compétitives sur de tels substrats.
- la squelettisation du sol : elle est liée aux deux phénomènes précédents.
Le sol devient extrêmement mince (donc déficitaire en eau) et présente des pointements rocheux.
Les pointements rocheux sont colonisés surtout par les Orpins (Sedum) et les Scléranthes (Scleranthus).

---> Les communaux nous lèguent aujourd'hui une flore riche en nombre d'espèces
(la plupart taxons oligotrophes et xérophiles). Il est grand temps de les étudier car n'étant presque plus pâturés, leur flore régresse rapidement. D'autres pelouses se maintiennent encore ici et là, souvent à la faveur de mesures agri-environnementales.
Dans notre région, la flore des pelouses est différente selon la nature du substrat géologique.

II - PROJET D'ÉTUDE DES PELOUSES
Cette année, le projet se limite aux altitudes relativement faibles : étage collinéen (au-dessous de 800 m), montagnard inférieur (800-1100 m environ) et alluvions riveraines (autour de 500 m). Les sorties pourraient se poursuivre éventuellement une autre année par les pelouses des étages montagnard supérieur et subalpin qui présentent des caractères différents et très originaux.
Entre 400 et 900 m (créneau altitudinal en 2007), les contrastes saisonniers sont fortement marqués :
- printemps pluvieux et plutôt doux : floristiquement, c'est la période du développement d'un maximum d'espèces (prévernales et vernales) ;
- été sec et chaud entraînant un déficit hydrique qui donne une touche méridionale au climat ; les plantes ont plusieurs stratégies pour passer cette mauvaise saison ;
- automne aux caractéristiques très proches de celles du printemps ; une deuxième vague d'espèces apparaît et fleurit (beaucoup moins nombreuses qu'au printemps mais différentes).
- hiver froid et plutôt sec, deuxième mauvaise saison qu'ont à passer les plantes !

1 - Les pelouses sur socle ancien
Le substrat géologique est constitué de granite ou de gneiss.
Le sol est très acide, très pauvre en éléments nutritifs et sec.

1.1. Les pelouses érodées sur pentes
a) Elles sont très riches en thérophytes (plantes annuelles) naines (pionnières de sol nu)
exemples : Aira, Cerastium, Trifolium, Spergula, Veronica, Logfia minima, Ornithopus perpusillus, Teesdalia nudicaulis ...
b) Les hémicryptophytes sont plus ou moins recouvrantes
exemples : Agrostis capillaris, Deschampsia flexuosa, Luzula campestris, Festuca, Helianthemum nummularium, Potentilla neumanniana ...

1.2. Les pelouses peu érodées sur replats et plateaux
Les hémicryptophytes dominent largement. Exemples : Agrostis capillaris, Deschampsia flexuosa, Armeria arenaria, Genista sagittalis, Anthyllis vulneraria, Pulsatilla rubra, Dactylorhiza latifolia, Thymus ...

2 - Les pelouses sur calcaire et marnocalcaires
Le substrat géologique est constitué de calcaire massif (peu fréquent en Haute-Loire) ou de marnes (argiles et calcaire).
Le sol est neutre ou basique, épuisé en éléments nutritifs, très excédentaire en calcium (les plantes ont des mécanismes adaptatifs à cet excès), squelettique et très sec sur calcaire, plus ou moins profond et moyennement sec sur marnes.

2.1. Les pelouses érodées sur calcaire
a) Elles sont riches en thérophytes parmi lesquelles les Fabacées occupent une place importante. Exemple : Medicago, Trifolium, Trigonella, Astragalus ... Cerastium, Minuartia ...
b) Les hémicryptophytes sont (en nombre moindre d'espèces) celles que nous avions observé sur le Causse en 2005 : Koeleria vallesiana, Helianthemum nummularium, Hippocrepis comosa ...

2.2. Les pelouses sur marnes (sol plus ou moins épais)
Les hémicryptophytes sont mésoxérophiles
La pelouse la plus développée est dominée par le Brome dressé et le Brachypode penné. Elle est très riche en espèces peu communes dans notre région. Les Orchidées sont bien représentées.

3 - Les pelouses sur substrat volcanique
Le substrat géologique est constitué par des coulées de basalte (roche massive) ou des scories.
Le sol est acide ou légèrement acide, épuisé en éléments nutritifs ; au contraire des sols sur socle ancien il contient du calcium assimilable par les plantes et au contraire des calcaires, il n'en contient pas une quantité excédentaire ; il est sec ; enfin, il est souvent squelettique (pointements rocheux).

Les pelouses sont très riches en nombre d'espèces : on retrouve à la fois une partie de celles sur socle ancien et de celles sur calcaire ! La remarque est valable pour les thérophytes et pour les hémicryptophytes. Il s'y ajoute les espèces de pointements rocheux : Sedum, Scleranthus, Thymus ... dont les adaptations à une sécheresse quasi-constante sont remarquables.

4 - Les pelouses sur alluvions
Le substrat est constitué de sables plus ou moins grossiers.
Le sol est acide, pauvre, meuble et très filtrant (donc sec).
Ces pelouses ont été récemment étudiées (en Auvergne) par Laurent Seytre et peut-être pourrait-il nous proposer une sortie l'an prochain.
La flore compte, en particulier, plusieurs espèces observées sur socle ancien et celles qui s'associent au Corynéphore.

En conclusion ... Il serait intéressant de dresser une liste aussi complète que possible pour chaque site, de comparer ensuite les listes et d'établir des relations avec les facteurs du milieu ... Une belle livraison pour nos amies qui préparent leur base sur les espèces indicatrices.


QUELQUES REPERES

Plantes annuelles et plantes pérennes de pelouses : une plante annuelle (thérophyte) est très grêle et se présente la plupart du temps en population importante (nombreux individus) ; on peut l'arracher très facilement ; son système racinaire est peu volumineux ; elle ne possède ni stolons, ni rhizomes, ni rejets, ni bulbe ... Les plantes annuelles de pelouses ont une durée de vie très courte (quelques jours à quelques semaines pour Erophila verna, Cerastium pumilum ..) ; elles passent le reste de l'année sous forme de graine dans le sol. Les plantes pérennes sont plus volumineuses et ne peuvent être arrachées qu'avec grande difficulté tant leur appareil racinaire est volumineux et bien ancré ; ce sont pour la plupart des hémicryptophytes qui passent les mauvaises saisons (été et hiver) sous forme de rosette (Hypochaeris) ou de touffes (Poacées) ; quelques unes sont des géophytes à bulbes (Scilla automnalis, Gagea saxatilis) ou à racines tubérisées (Orchidées).
Voir Digitalis 2006 : article sur les types biologiques.
Comment le troupeau favorise les plantes fourragères : toute plante possède un bourgeon apical (ou terminal) et un bourgeon à l'aisselle de chaque feuille (bourgeons axillaires). En général, quand la plante n'est pas broutée ou cassée, elle croît (s'élève en hauteur par exemple) grâce au bourgeon terminal (qui finit par fabriquer une inflorescence) ; les bourgeons axillaires sont peu développés (ils ne forment pas de rameaux). Si la plante est broutée, ou cassée par le piétinement, le bourgeon apical disparaît ; cette "taille" conduit au développement de plusieurs bourgeons axillaires qui forment autant de rameaux ; au lieu d'une tige, la plante en a désormais 3, 5, 8 ... Si ces tiges sont couchées, elles occupent de plus en plus de place. Si on applique ce schéma simple aux Graminées, on comprend pourquoi plus elles sont broutées, plus elles s'étendent - au moins tant que le sol peut les nourrir ! Or, le troupeau mange les plantes les plus appétantes (qui sont aussi les meilleures fourragères). Ce qui explique leur importance quantitative.
Cependant quelques plantes non fourragères (appelées "refus") ne sont pas broutées et prolifèrent du seul fait du piétinement (Brachypode penné).
Les plantes xérophiles de pelouses et leurs adaptations à la sécheresse : (1) les thérophytes ne se développent que pendant la saison pluvieuse printanière et passent les saisons sèches sous la forme la plus réduite qui soit : la graine (qui est déshydratée et protégée par ses téguments ; la graine peut aussi rester dans le fruit sec pendant la mauvaise saison). (2) Certaines hémicryptophytes ont une surface foliaire réduite ce qui limite considérablement la perte d'eau par évapotranspiration (Fétuques, Asperula cynanchica, Scleranthus ...) ou possèdent des poils qui limitent également l'évapotranspiration (Logfia minima, Helianthèmes ...) ; une cuticule épaisse (sorte de couche cireuse sur l'épiderme) joue le même rôle (Eryngium campestre, Carlina ...) (3) Les géophytes passent la saison sèche dans le sol sous forme de bulbe (Scille, Ail à tête ronde ...). (4) Le système racinaire est très important ; il explore le sol en profondeur (Hypochaeris radicata ...) et le plus souvent très loin en surface (plusieurs dizaines de cm autour de la plante : Poacées, Cistacées, Potentille printanière ...). (5) Les plantes crassulescentes ou "grasses" (Sedum) ont des cellules capables de faire de véritables réserves d'eau.
Gestion des pelouses : l'agriculteur gère de manière très différente une prairie et une pelouse. Dans la prairie, pour obtenir chaque année une "belle herbe" qui nourrisse ses vaches, il apporte nécessairement un engrais (fumier ou autre). Dans une pelouse, il n'apporte pas d'engrais. Si il veut nourrir correctement son troupeau pendant plusieurs années, il doit faire deux choses : ne pas faire surpâturer pour laisser un peu d'herbe (litière qui se transformera en humus) et surtout veiller à ce que le fumier des moutons se répartisse correctement. Des méthodes sont bien répertoriées à cet égard dans les parcours de moutons. Si il manque à ces règles, la pelouse s'appauvrit sur le plan agronomique et ... s'enrichit, au moins pour un temps, sur le plan floristique.
L'agriculteur peut aussi abandonner la pelouse ou mettre trop peu de moutons pour assurer la maîtrise des végétaux ligneux : les buissons s'installent alors sur la pelouse qui devient une fruticée.

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